DAP 10/12/2012 à 20/12/2012

Point question d'entente entre les têtenhaut et les têtenbas. Depuis toujours la bataille faisait rage entre les deux factions...

Les têtenhauts vivaient sur la partie supérieure de leur planète plate. Ils détestaient les têtenbas, qui habitaient, pour leur part, sur la partie inférieure. Comment pouvaient-ils en être autrement? Comment pouvaient-ils accepter que des êtres, aussi différents soient-ils (là n'était pas l'important), osassent marcher la tête en bas? Cela était bien évidemment inconcevable, et justifiait pleinement ce sanglant et brutal conflit.
Tout commença un mardi, jour des plantations agricoles chez les têtenhauts. L'un d'eux, souhaitant planter un petit arbuste fruitier, creusa de sa pelle trop profondément la maigre couche de terre séparant les faces supérieures et inférieures de la planète. Quelle ne fut pas sa surprise quand il se retrouva nez à nez avec les visages candides et ronds d'homme à la tête en bas! L'état de guerre fut immédiatement déclaré, et, depuis cette honteuse découverte, têtenhauts et têtenbas n'avaient de cesse de creuser la terre profondément pour pouvoir, par l'ouverture ainsi formée, lancer moultes ustensiles tranchants ou autres explosifs.


Or, un jour, un jour où soufflait le vent des faces extrêmes, un pacifique têtenbas creusa seul et, dans le plus grand secret, se hissa sur la face supérieure, terre des têtenhauts. A peine eût-il franchi cette frontière naturelle qu'il se mit à marcher la tête en haut! Plus question à présent de se battre! Puisque par l'exemple de ce courageux têtenbas, la preuve était faite que têtenhauts et têtenbas se retrouveraient semblable s'ils cohabitaient sur la même face! Baduo (c'était son nom) partit immédiatement répandre la bonne nouvelle à travers les steppes supérieures. Le peuple têtenhaut, après l'avoir écouté attentivement, décidèrent de stopper cette guerre stupide, et envoyèrent l'un des leurs, Oduba, signer des traités de paix avec les têtenbas.

Depuis ce jour, têtenhaut et têtenbas vécurent en harmonie, maudissant cependant l'obscurantisme et l'ignorance qui les avaient poussés à enterrer de si nombreuses victimes.

Il court. Il court, à en perdre la vie, il court, il court jusqu'à ce que ses forces fuient.
Il ne pourra jamais revenir chez lui, le traître, pour ce qu'il ose faire. Sa famille, ses amis, ses camarades de bataillon, ils les délaisse pour espérer ne plus avoir le fardeau de voir mourir des étrangers, des inconnus, des ennemis.
Il ne sait même pas comment il sera accueilli là bas, pas plus qu'il ne sait comment il serait jeté, ici, s'il se ravisait maintenant.

Il se relève et vérifie que personne ne pourra le voir repartir. Il scrute quelques instants le champ de bataille boueux jonché de cadavres couverts indifféremment de plumes ou de fourrure. À une 50aine de mètres gisent les premiers barbelés, teintés de rouille et de sang bruni par l'air frais. Normalement. Dernière bouffée de courage, il sprinte et fini sur une glissade, le bas des jambes griffées sous les rouleaux.
« Gris de la poudre et soufre du ciel, permettez qu'en ce jour je ne devienne terne et que je ne souffre, au moins jusqu'à ce soir. »
Sans cesse, il se murmure cette phrase pour se donner du courage afin de ne pas se retourner comme l'as fait Orphée, vers sa bien aimée.
Ses serres collent à la boue égratignée, ses bandages de pieds ne le protègent plus depuis longtemps du froid de la terre à température des cadavres environnants, mais la brume le protégera pour un temps. Jusqu'à 6 heures moins deux tout du moins, après quoi les corbeaux se repaîtrons alors de lambeaux encore chauds. Jusqu'à la prochaine demie-heure d'artillerie Griffone tout du moins, reprise en canon quelques secondes plus tard par l'orchestre léonin.
Un rouleau de papier dans l’étui de son masque à gaz. Il a reporté dessus les prochains déploiements de ses camarades, avec dates et nombres d'hommes approximatifs. Il espère vraiment que cela aidera les autres à gagner cette bataille qui s'éternise, depuis plus de 6 mois. Ses plumes ne sont plus étanches à la pluie, mouillées et infestées de puces jusqu’aux os mais il court, à deux puis quatre pattes.Il court vers le nord. Le brave saute par dessus les rangées de barbelés et fini par se cacher derrière une souche, à l’abri des regards dans un cratère d'obus. La tête penchée en arrière, posée sur le torse d'un ennemi, les gouttes lui tombent dans les yeux. Le temps de reprendre son souffle, il repense à son trajet. Il va devoir traverser les ruines du village voisin, sans doute déjà truffées de tireurs d'élites depuis la fin du dernier bombardement. Six tintements de cloches résonnent dans le brouillard de novembre. Le clocher semble encore debout.
Il repart au triple galop avant qu'un obus vienne agrandit le cratère dans lequel ce traître se terre et ne sème des plumes grisâtres aux alentours. Les détonations des canons remuent subitement l'odeur de souffre dans la plaine tandis que l'air fuit en sifflant devant les obus nouveau-nés.
Ses jambes ne le portent plus, son bras gauche est blessé par un tir de fusil ou un shrapnel, ses tympans broyés par les explosions incessantes, ses yeux agressés par la fumée, sa vue se trouble, l'odeur de cadavre se relève. Il n'as plus qu'à traverser la forêt d'arbres morts et de se jeter dans les bras du destin, pour atterrir dans une tranchée, mort ou vif. À terre, allongé contre un mur, il va repartir, à moins qu'il n'explose sur une mine ou un obus défectueux juste avant.
« plus que 500 mètres... »
Laissant son casque, son fusil sa grenade et sa médaille dans la poche de l'inconnu allongé à côté de lui. De toute la puissance de ses quatre pattes et de son cœur vaillant, mêmes blessés il se relève et relance sa course.
Il court, il court, à en perdre l'envie, il court, il court jusqu'à ce que ses membres lâchent, le laisse tomber. Mais il se relève, et parmi les balles qui se font entendre, il saute par dessus les deux rangées de barbelés. Il a atterri en fracas contre la parois arrière de la tranchée léonine pour ne plus se relever, transpercé par plusieurs balles qui n'auront pas eu raison du dernier saut de l'inconnu.
« Gris de la poudre... soufre du ciel... permettez qu'en ce jour je ne devienne terne, et que je ne souffre, au moins, jusqu'à ce soir...»
Après quelques minutes d'incompréhension, le griffon agonisant, remuant à peine, soufflant et souffrant s'éteint en tentant d'ouvrir son étui de masque à gaz. Le message dépasse légèrement tandis que les explosions cessent. Le glas du clocher a fini par tomber à terre dans une dernière vague d'harmoniques pures, accompagnant la seule note que cette cloche aura toujours su faire. Puis la neige commence à tomber, la brume se dissipe. Après quelques minutes d'incompréhension, le léonin fini par prendre le papier roulé soigneusement et le lis rapidement. Alors seulement, il comprend.